Des polonais sans Pologne (1/2)
De 1795 à 1918, la Pologne perdit son indépendance et son nom. Devenue le Royaume du Congrès et partagée par la Russie, la Prusse et l’Autriche, un long siècle de lutte pour l’indépendance va commencer pour la nation polonaise. Malgré un bref espoir d’indépendance soulevé par les armées de Napoléon, la nation entrera dans une période d’insurrection portée par le vibrant romantisme polonais en exil à Paris puis par une période de reconquête de son indépendance par la voie légale.
L’origine de la partition
L’Europe de l’Est est un puzzle où des siècles de partitions, de guerres et d’alliances ont saupoudré des peuples en divers endroits. Si le cœur de la nation polonaise repose dans les villes de Cracovie, Poznań, Varsovie ou Gdańsk (Dantzig), son territoire a beaucoup évolué et des villages entiers polonais se sont retrouvés, à la partition de 1945, en Russie, soit à plusieurs centaines de kilomètres de la Pologne actuelle. La première de ces évolutions fut une alliance avec la Lituanie.
L’Union de Lublin entre le Royaume de Pologne et le Grand-Duché de Lituanie est signée le 1er juillet 1569 ; elle fera de la future République des Deux Nations, l’une des principales puissances européennes dont le territoire s’étendra à son apogée sur près d’un million de km2 au cœur de l’Europe Centrale ; ses frontières méridionales bordant l’Empire Ottoman et ses frontières orientales se trouvant à 400 kilomètres seulement de Moscou. Mais son système politique unique pour le temps qui avait fait sa fortune fera également son malheur. En effet, le régime reposait sur un parlement composé de nobles qui représentaient 15% à 20% de la population totale et qui élisaient le roi. Ces nobles avaient, au cours des années, accumulé de telles garanties que le roi ne possédait aucun moyen de se défaire de leur emprise. Cependant en élisant constamment au pouvoir des souverains étrangers pour éviter que des rois polonais puissent être tentés de changer les choses, les nobles ont exposé la République à des conflits d’intérêts qui se résoudront par des conflits fatals à l’Union.
La République aborde le XVIIIe siècle complètement affaiblie, les invasions russes et le Déluge suédois, ont sabordé l’économie du pays qui ne peut plus résister face à l’ingérence des puissances qui se sont constituées à ses frontières. La fin du siècle oscillera entre déclin de la noblesse corrompue qui se réfugiera dans un mysticisme des origines de la nation polonaise (sarmatisme) et une ouverture au siècle des Lumières avec l’aide du dernier roi de Pologne Stanislas Auguste Poniatowski. Une hésitation qui restera toujours au cœur de la politique polonaise entre l’attrait de l’Occident et la volonté de se constituer un modèle unique entièrement polonais. Malgré les ambitions du roi-philosophe, des révoltes incessantes incitent Catherine II de Russie à un premier partage du pays en 1772 avec la Prusse et l’Autriche. Mais les réformes trop ambitieuses de Stanislas-Auguste suivies d’une constitution en 1791 inspirée par les événements français vont motiver les Russes et les Prusses à envahir le protectorat polonais. Ils procéderont alors à un deuxième partage en 1793 qui aura pour conséquence de pousser la bourgeoisie et la noblesse polonaise à se révolter. L’insurrection sera menée sous la bannière de Tadeusz Kościuszko, héros de l’indépendance américaine mais se soldera par la défaite des polonais et d’un dernier partage qui verra disparaître le nom de Pologne des cartes européennes pour 123 ans.
Napoléon et l’espoir d’une indépendance retrouvée
Si la politique a fait disparaître la Pologne des cartes, elle reste présente dans le cœur de polonais qui vont faire reposer leurs espoirs sur le futur empereur des français Napoléon 1er et sur le Tsar de Russie Alexandre 1er. Mais les promesses d’Alexandre 1er ne se concrétiseront jamais et les armées de Napoléon seront décimées en Russie. Il faut toutefois noter l’importance de Napoléon pour la Pologne qui l’honore encore aujourd’hui dans son hymne national (Bonaparte nous a donné l’exemple / Comment nous devons vaincre) et a conservé le modèle des lycées et des écoles polytechniques. Mais le Congrès de Vienne réattribuera la Pologne à la Russie qui en fera le Royaume du Congrès, un état libéral fantoche aux ordres de Saint-Pétersbourg. Cependant l’Autriche sera la moins assimilatrice des puissances occupantes et c’est donc naturellement en Galicie et plus particulièrement dans la Ville Libre de Cracovie que va s’épanouir la culture polonaise au XIXe siècle. En effet, les Russes et les Prusses vont mener une politique d’assimilation forcée. Les Polonais devront notamment se convertir au rite orthodoxe et n’auront plus le droit de parler leur langue dans les écoles ou les administrations. Mais ces humiliations du peuple polonais vont mener à de nombreuses insurrections contre les colonisateurs à travers le XIXe siècle.